Santa Maria, l’île jaune

LOL n°50

Bonjour à tous,

Aie, que le temps passe vite ! Notre escale à Santa Maria remonte déjà à près d’une dizaine de jours. Nous y étions, si ma mémoire est bonne, entre le 16 et le 21 juillet… Je ne me souviens déjà plus des dates…. Heureusement qu’il y a le livre de bord officiel de LOLITA, rempli consciencieusement lors de chaque navigation, pour nous rafraîchir la mémoire sur ce plan là (les dates et le calendrier de notre voyage). Il faut dire que, depuis notre arrivée à Sao Miguel, nous sommes tellement en mode « vacances », profitant de nos journées de voyage comme s’il s’agissait des dernières, que nous avons perdu la notion du temps… Mais « pardi », comme dirait Juliette, ce n’est pas une raison pour passer à la trappe de nos récits cette belle et charmante étape de Santa Maria, l’une des plus petites îles de l’archipel des Açores (après Graciosa et Corvo), située au Sud Est de l’archipel.

Alors revenons un peu en arrière ! Nous vous avions laissé à Sao Jorge, la belle île montagneuse et toute en longueur comme un couteau que nous avons tant aimé. Pour aller à Santa Maria depuis Sao Jorge, il y a 145 milles, soit une bonne journée entière (nuit incluse) de navigation. Après les « au revoir » aux copains, notamment Manua que nous ne reverrons plus, cette dernière a commencé très calmement. Sous le vent de Sao Jorge, nous sommes englués dans la pétole (point de vent), toute la fin de l’après-midi, et c’est donc grâce aux bons offices de notre moteur que nous progressons vers l’est. Un peu plus tard, une fois doublé le cap San Pedro, échappant enfin au dévent de l’île, nous retouchons de l’air frais. Comme les oracles (les fichiers météo) l’avaient prédit, le vent rentre dans une direction que LOLITA apprécie particulièrement. Nous sommes en effet au près débridé, son allure préférée ! Sur une mer plate, nous glissons enfin à bonne vitesse vers notre destination. Les enfants jouent et se reposent à l’intérieur. Après plusieurs soirées tardives (diners prolongés avec les amis du ponton), ils sont fatigués et ont du sommeil en retard. Pour cela les navigations sont parfaites, car ils récupèrent pleinement.

La nuit tombe. Le vent adonne progressivement jusqu’au travers. Avec Hervé nous nous regardons satisfaits. La nuit promet d’être bonne. « Du gâteau », comme on aime ! Oui, mais avant de le savourer, il faudrait quand même qu’il soit prêt à servir. Or, si on continue dans la métaphore du gâteau, impossible de trouver la recette exacte ! Il manque toujours un peu de ci, il y a encore trop de çà… Impossible de trouver le bon régime. En d’autres termes, monsieur le vent n’est pas du tout établi : Il adonne, il refuse, il augmente en force, il baisse, il s’évanouit même parfois… Notre nuit sous les étoiles se transforme ainsi en veillée sportive où nulle sieste rêveuse n’est au programme. Nous passons notre temps à manœuvrer, à régler les voiles, prendre un ris, le renvoyer, wincher, laisser filer… Au matin, nous sommes rôtis. Mais victoire, le vent, lui, semble cette fois avoir choisi et sa force et sa direction. Nous filons à bonne allure vers notre destination.

Le soir, après une touche manquée et un leurre arraché côté pêche, nous arrivons enfin à Santa Maria. Curieusement, la configuration des lieux ne ressemble pas à celle indiquée par notre carte. Point de mouillage à l’horizon, il faut se résoudre à jeter l’ancre près de la jetée. Les enfants sont comme à leur habitude, tout excités d’arriver. Tous les trois, y compris Jean et Juliette, nous aident désormais dans les manœuvres : affaler et plier la grand-voile, mettre en route le moteur, reprendre la tension des écoutes, préparer le mouillage. Pierre-Louis est à la barre. Caroline lui apprend à repérer les feux de balisage du port, comment laisser le feu rouge de la jetée à tribord et non pas à bâbord, sans quoi on foncerait dedans ! Pierre-Louis, malgré sa bonne volonté, a encore un peu de mal à se repérer de nuit. Et puis, c’est bien normal, à à peine 10 ans, on a encore un peu de mal à se concentrer ! Heureusement que les parents veillent et redressent discrètement la barre, car à plusieurs reprises, c’est vers les cailloux que nous faisons route ! Nous voici au mouillage. Les enfants, Hervé et moi sombrons rapidement dans le sommeil. Le lendemain matin, alors que nous nous sommes à peine réveillés, nous sommes accostés par le semi-rigide de l’officier de veille du port de Porto. Impossible de rester là où nous sommes, il faut vider les lieux. Soit nous allons vers un autre mouillage, soit nous rentrons dans la marina… Nous choisissons la deuxième option, histoire de pouvoir débarquer rapidement à terre et d’aller prendre le pou de l’île. Comme aux escales précédentes, le port, qui semble récent, est bien vide, et ce serait pécher que de vouloir snober l’accueil enthousiaste des locaux.

Dans le creux de la falaise, la baie de Praia Formosa

A Santa Maria, les sentiers de randonnée sont légions. Il suffit de remonter la colline surplombant le port pour en trouver plusieurs. L’un d’eux permet de faire tout le tour de l’île à pied, en 3 jours tout de même. Nous ne serons pas aussi ambitieux. Un aller-retour à la plage la plus proche ferait déjà une bonne randonnée. Elle se trouve à une heure trente de marche sur un beau chemin à flanc de falaise. Nous nous y engageons tout contents de dégourdir nos jambes et d’allonger la foulée. Malheureusement, le ciel menaçant nous fera rebrousser le chemin avant d’atteindre la plage. Qu’à cela ne tienne, nous en profitons pour admirer le paysage, découvrir les curiosités géologiques de l’île (cavernes et étonnantes strates de basalte et de calcaire), et enfin prendre le temps d’apprécier comme il se doit plusieurs rencontres de passage : vaches, ânes, chats et chevaux.

Le lendemain, nous décidons de louer une voiture. J’appelle un loueur. Mon interlocuteur me dit qu’il sera sur place dans deux minutes. « J’aurai un polo bleu et une voiture orange » me précise-t-il. Deux minutes plus tard, comme par miracle, alors que je ne lui ai même pas donné l’adresse de l’endroit où je me trouve, une terrasse d’un bistrot au bord de la seule rue commerçante du bourg, voici qu’apparaissent la voiture orange et le polo bleu ! On se sent très vite chez nous ici. A Vila do Porto la vie du port semble rythmée par le balai incessant des bateaux de pêche qui restent à peine deux heures à quai le temps de décharger. Le bistro local accueille les équipages entre deux rotations et nous y dégusterons une préparation délicieuse de poulpe, l’une des spécialités locales.  

Le point culminant, le Pico Alto s’élève à 587 mètres. C’est bon pour nos petits mollets, et nous prenons la tangente dès le lendemain pour aller pique-niquer là-haut après une jolie randonnée dans la forêt. Au retour, tout le monde est joyeux, seule Juliette nous redemande encore et toujours plus des histoires de Rouspette et Margot, les impayables héros inventés par Hervé et les enfants. Et comme il sèche un peu ces temps-ci, à moi de me creuser le ciboulot. Juliette est assez exigeante, mais bonne princesse, elle propose parfois le scénario de départ. Qui se résume généralement à : Margot, Rouspette, une sorcière, Pierre-Louis avec son annexe magique, Jean avec son couteau magique et Juliette son collier de sortilège, magique lui aussi. Heureusement il y a des volcans, Lolita ou des placards à balais pour étoffer le roman.  

L’île côté Est vue du Pico Alto

Contrairement aux îles précédentes que nous avons visitées, Faial et Sao Jorge qui étaient vertes et fertiles, Santa Maria est aride et minérale. On y voit ainsi très peu d’hortensias… Le climat, peut-être à cause de sa position plus septentrionale, y est sans doute plus sec. D’ailleurs il y a une sorte de désert à l’Ouest de l’île (Bareira da Faneca). Mais les fameuses dunes vantées par le guide touristique ressemblent plus à un grand terrain de moto cross en terre battue. On trouve aussi, incongruité dans le paysage, un centre de l’ESA (Européan Space Agency) et l’on aperçoit une énorme antenne radar posée entre deux pâturages. Après recherche, on apprend qu’elle sert à suivre les fusées Ariane 5 quand elles décollent de Kourou.

On a retrouvé Christophe Colomb !

Ce cher Christophe nous aura décidément accompagné tout au long du voyage. Normal, nous marchons sur ces traces. En République Dominicaine nous avions visité un musée intéressant et découvert qu’il avait effectué 4 aller-retours dans le Nouveau-Monde. Ce fut justement au retour de son premier voyage, le plus glorieux d’entre tous puisque c’était le premier, qu’il jeta l’ancre dans une baie au Nord de Santa Maria, la baie d’Anjos, ayant promis à son équipage de débarquer pour assister à une messe à terre. Mais ces hommes, habillés de guenilles, sales, puants, mal rasés, l’haleine fétide et le regard luisant, après leur interminable voyage, furent pris pour une bande de pirates par les locaux. Le gouverneur de l’île, qui ne devait pas spécialement faire de quartier avec cette « engeance », les fit aussitôt jeter en prison, en attendant de les pendre haut et courts. Christophe Colomb, accourut immédiatement pour expliquer la méprise. Mais rien n’y fit sur le moment. Il lui fallut dix jours de palabres afin de pouvoir libérer ses hommes, et reprendre sa route. Il faut dire que les Açores, à cette époque, étaient déjà portugaises, et les rivalités entre Portugais et Espagnols pour la maîtrise des mers étaient déjà fortes !

Drôle de coïncidence : je termine justement un roman de Jean-Christophe Ruffin intitulé « Le tour du monde du roi Zibeline » et le héros qui a vraiment existé s’échappe de son exil en Sibérie pour suivre un incroyable périple sur un voilier volé avec ses compagnons d’arme, périple dont il a le plus grand mal possible à justifier la véracité auprès des différentes autorités qu’il rencontre. Nous sommes sous le règne de Louis XV et les réseaux sociaux se résument à la cour du Roi.

Baie de Sao Lourenço
Phare de Sao Pedro

Vestige de chasse à la baleine

Après une bonne baignade dans la piscine d’eau de mer de Sao Laurenço dans le Nord de l’île, nous rejoignons la pointe Sud Est de Santa Maria. Pour nous y rendre, nous traversons un paysage de collines boisées et de vertes prairies (on se croirait en Irlande). Au pied d’une falaise noire et raide sur laquelle se dresse le phare de San Pedro, se cachent les vestiges d’une ancienne usine baleinière. Elle est coincée dans une minuscule baie encadrée de rochers acérés qui faisait office de port naturel. De la terre, on y accède par un sentier raide et pavé, entièrement muré pour parer aux éboulis. En parcourant ces chemins, comment ne pas penser aux hommes qui construisirent de telles merveilles ? Ils ne devaient guère avoir plus que leurs mains, des pioches, et des burins pour accomplir de tels prodiges. Respect messieurs ! Sachez que, si vous nous lisez (on ne sait jamais !), votre travail fait notre admiration et notre émerveillement ! Une fois en bas du chemin, nous parcourons les ruines de l’usine. Il subsiste quelques bâtiments, des treuils, des morceaux d’une rampe sur laquelle les bêtes devaient être hissées pour le dépeçage, de vieilles cuves rouillées et dispersées ça et là par les tempêtes. Avec les enfants nous essayons d’imaginer ce qu’était la vie dans ces lieux quelques dizaines d’années plus tôt : embarquer au côté des pêcheurs et pénétrer avec eux dans cette baie minuscule, à bord de leurs frêles embarcations, tirant sur les avirons, ballotés par la houle ; observer, hissé le long de la rampe,  tiré par un treuil, l’immense cachalot sans vie ; voir les chaudières fumer, les hommes s’agiter, dépeçant le cétacé quartiers par quartiers ; sentir l’odeur pestilentielle de la graisse qui fond, des chaires qui pourrissent, l’air âcre du charbon alimentant les chaudières ; entendre les grincements du treuil, le sifflement de la vapeur, le cliquetis des marteaux et des couteaux ; s’écarter pour laisser passer le convoi de mules, soufflant sous le poids du bas, remontant à pas lents le sentier sinueux la précieuse marchandise. C’était un autre temps. En s’y plongeant, seul le silence est de mise. Même les enfants ont suspendu leurs jeux et leur excitation. Parfois, un lieu est plus qu’un lieu. Quand l’histoire qui l’habite resurgit de ses murs, il devient mémoire. Et l’émotion nous gagne.

Usine de baleine abandonnée

Baia do Formosa, le plaisir retrouvé du mouillage sauvage ! Lundi 20 juillet. Nous quittons Vila do Porto avec Lolita, direction Praia do Formosa à 30 minutes dans l’Est. Seule plage de « sable clair » de l’île, voire de l’Archipel, c’est l’occasion pour nous de jeter l’ancre au pied d’une falaise le temps d’une belle nuit sans vent. Il y a très peu de mouillages abrités le long des îles, c’est une bonne occasion. Nous tentons une plongée mais celle-ci tourne court, faute de pouvoir équiper les enfants de combinaisons adaptées. Même Pierre-Louis, le plus acharné des trois, renonce vite, malgré la clarté de l’eau. Elle est décidément trop froide pour y rester bien longtemps. Nous n’avons certainement pas choisi le meilleur coin pour la plongée qui semble pratiquée ici assidument. Mais Hervé remonte quand même une petite Baliste qui fera notre repas. Ah que Cuba et les Bahamas nous semblent loin ! et que leur souvenir est doux en  nous remémorant les plongées que nous y avons faites !

Le mouillage de Praia Formosa au soleil couchant
Départ en pongée, tout le monde en combi ! Juliette retrouve ses brassards du début du voyage et nous fait une petite régression

En fin d’après-midi, Hervé et les enfants débarquent sur la plage. Ils piaffaient d’impatience, le premier pour se dégourdir les jambes, les deuxièmes pour s’amuser dans le sable. Leur grand jeu du moment, c’est de rejouer en miniature la fameuse explosion du Vésuve et l’ensevelissement sous la nuée ardente de Pompéi. Ils se sont passionnés pour cette histoire, en visionnant un épisode de la très pédagogique émission « C’est pas sorcier ! » de Jamy et Fred… ils ne s’en lassent pas !

Surf a Praia Formosa

Voilà, notre séjour à Santa Maria prend fin. Comme dans les autres iles, on s’est régalé. Pas autant qu’à Sao Jorge certes, mais cette île nous a fait voir de jolies choses. Nous remettons les voiles et contournons Santa Maria par l’Est. Cap sur l’île de Sao Miguel à 50 milles de là. Nous en avons pour une petite journée de navigation bien sympathique sous le soleil et un bon vent de travers. Toujours pas de poisson malheureusement mais on ne désespère pas, cela reviendra.

 A bientôt.

Les enfants et le grand Christophe Colomb

9 réflexions sur “Santa Maria, l’île jaune

  1. EMMANUELLE BERTHE

    Coucou les amis et la petite tribu

    Je viens de lire avec tjs autant de plaisir la nouvelle new !!!
    Un vrai régal Merci encore !!!

    Bonne journée de navigation
    Plein de bisous
    ¨PROFITEZ DE CETTE BELLE OLAVENTURE
    Je vous embrasse
    Manue

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  2. Colette Bernard

    Merci, chère Caroline et cher Hervé, pour votre nouveau récit de voyage, Santa Maria, l’ile jaune ! Passant hier derrière le Trocadéro, je relisais Paul Valéry, sur un des frontons du Palais de Chaillot : “ Choses rares ou choses belles ici savamment assemblées instruisent l’œil à regarder comme encore jamais vues toutes choses qui sont au monde.” C’est cela, le voyage que vous nous offrez, et celui du voyageur immobile qui entre dans un musée parisien ! Ouvertures, partages, gratuité, disponibilité à ce qui est là. Je vous souhaite une bonne poursuite de votre navigation et je vous embrasse très fort tous les cinq xxx Colette

    Envoyé de mon iPhone

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  3. Bravo, c.est toujours une joie pour nous de lire vos articles. Ils nous donnent envie de naviguer dans votre sillon.
    Voilier Manutea, nous nous sommes croisés en début d’année au mouillage de Sainte Anne. Bonne suite et bon retour.

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  4. o2

    Merci Caro et Hervé de nous partager tous ces instants votre voyage.
    J’avais pris un peu de retard de lecture avec l’arrivée des vacances …et c’est déjà trop vite rattrapé à Mon goût!!! Il va falloir patienter pour la suite.

    Au plaisir de vous retrouver bientôt.
    Affectueusement Aude et toute la bande

    Aimé par 1 personne

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