Aux Exumas, un ravitaillement en « or »

LOL n°42

Bonjour bonjour, en direct des Exumas, Bahamas.

Nous avons rejoint la civilisation…Pour le meilleur et pour le pire ?

Souvenez-vous, dans la LOL précédente, nous évoquions la douceur de vivre dans nos îles inhabitées, entourés d’une généreuse faune sous-marine. Après avoir (à regret) quitté Flamingo Cay nous avions décidé une dernière halte. Sur notre route, Water Cay, offrait un ultime abri avant les Exumas, cet archipel au Nord des Jumentos, réputés pour la beauté de ses îles, et sa fréquentation plus importante en raison d’un engouement certain des américains pour notamment GREAT EXUMA, l’île principale.

Bon, une fois mouillé à Water Cay, accueillis par trois gros requins « dormeurs » (que nous avons confondus avec des raies de prime abord) et un banc de carangues, on avait presque oublié notre petit paradis de Flamingo Cay. Sans compter les possibilités offertes par les balades à terre. Malheureusement il ne nous restait que la journée de dimanche pour en profiter. Bien mise à profit pour une balade, confection de cabanes, arc et flèches et pêche miraculeuse (langoustes, mérou, et une énorme Carangue tirée par Hervé depuis l’annexe, sans se mettre à l’eau (ce dernier souffrant toujours d’une plaie infectée au pied sur du corail), carangue disputée par un groupe de requins bien réveillés cette fois, mais il faut dire que nous les avions appâtés avec les abats des mérous. Ce qu’il ne faut théoriquement jamais faire si l’on envisage de se baigner juste après (surtout vers 17h30 en eaux troubles…) Quel spectacle ! Et comme d’habitude, pour nous parents, le spectacle est aussi exceptionnel dans nos yeux qu’à l’écoute de nos enfants. JEAN, bondissant et hurlant « regarde les requins, mais c’est IMAGINAIRE ! (pour dire « inimaginable ») Aux Bahamas, on trouve deux types de requins potentiellement agressifs avec l’homme, surtout s’il a un poisson au bout du harpon, le requin TIGRE ou le BULL-DOG. Ils contiennent dans leur surnom la petite dose de hargne qu’on leur suppose.

La carangue, un bel exploit d’Hervé
L’annexe a besoin d’un bon coup de nettoyage
Hervé lève les filets que nous partageons avec Aiamalaia
non, Pierre-Louis ne promène pas sa langouste en laisse, il s’agit d’un collet
requin dormeur

Ah oui, il faut vous dire que si pour une fois, nous avions un impératif à terre, celui d’être à Georgestown le 27 avril, c’est parce que nous en avons fait officiellement la demande et que celle-ci a été acceptée par les autorités des Bahamas. Le message provenant de Londres, nous donne carte blanche pour notre plan de navigation. Même si nous n’avons pas évoqué dans notre message les plans B, C et D (consistant à prolonger la phase pirate) !

Et voilà, de très bon matin, ce lundi, LOLITA prenait donc le large pour rejoindre les Exumas. Le large ? Avec 3 mètres de fond tout du long ? Façon de parler sans doute. Ces dernières semaines, nous avons appris à apprivoiser les cartes marines truffées de petites étoiles. Quand on zoome dessus (et oui, je parle de cartes électroniques) c’est marqué « tête de corail » ce qui vous avance bien quand on n’a pas idée de la hauteur de la tête par rapport au fond. Alors au début, on ferme un peu les yeux, et on avance. Ca passe, bon, c’est mieux quand même de naviguer de jour. Avec le temps, on distingue de mieux en mieux les « patates de corail » et finalement nous pouvons faire un peu plus confiance à nos cartes (Navionics, version 2019). Celles de nos amis, version 2018 s’avérant moins précises. Pour une fois qu’on est à la page ! Mais les meilleurs cartes, les Aquamaps, nous ne les avons pas. Quel bonheur tout de même, de naviguer sur une eau turquoise dont on voit le fond. On s’habitue vous disais-je, mais sans se blaser non plus. Avec ses 1.95m de tirant eau (= tout ce qui dépasse sous l’eau depuis la flottaison) LOLITA se trouve tout même interdit de certains passages où l’on pourrait distinguer les pates d’une étoile de mer. A moins de la faire gîter pour passer, hummm, non c’est une mauvaise idée, nous sommes en mortes eaux (faibles coefficients de marée, début d’une nouvelle lune) et c’est risqué. Tant pis pour le détour de 20 milles, ça nous apprendra à avoir un quillard. La navigation nous enchante, même si nous profitons de quelques heures au moteur pour lancer des machines à laver…(Moteur=dessalinisateur= eau chaude et suffisante). Mais toujours à la main, ça nous apprendra à voir un bateau de 12m. Enfin, c’est gai, un joli bateau orné d’une ribambelle d’habits d’enfants séchant au vent. Charmant mais pas très raccord avec le type de bateau qu’on aperçoit généralement aux Bahamas.

A la VHF, alors que nous approchons de Georgestown, deux bateaux se présentent, à tribord de la rade un LAGOON 450 d’une famille Suisse, et à bâbord, une américaine, francophone sur un CATANA 471. Ils sont respectivement mouillés ici depuis 1 mois et 3 mois. Ça nous scotche. Comment ont-ils pu rester si longtemps au même endroit ? Nos amis d’AIMALAIA arrivés comme d’habitude les premiers sur place (Catamaran = petit tirant d’eau = économie de 20 milles) opte à l’instinct pour le groupe de TRIBORD et sa famille Suisse immédiatement accueillante et peu avares de conseils. Bien leur en prend car nous comprenons assez rapidement qu’il y a effectivement deux clans mouillés dans la rade. A bâbord donc, près du port de GEORGESTOWN, Les SHERIFFS : l’Amérique puritaine, plus royaliste que le roi qu’elle n’a pas. A tribord, les OUTLAWS, ou le reste du monde, suisses allemands ou francophones, français ou belges, confinés dans le respect des lois mais s’autorisant quand même des incartades à terre. Il faut dire que nous sommes mouillés près d’une plage totalement infréquentée, et à 5mn à vol d’oiseau d’une autre plage qui ouvre sur l’Océan. Les SHERIFS règnent sur la VHF et sur la Baie, surveillent à la jumelle les OUTLAWS qui font n’importe quoi et emmènent les indiens à la plage faire des cabanes (c’est nous là), et vont jusqu’à les dénoncer à l’immigration, lorsque ces derniers transgressent de manière éhontée les « gestes barrières » de la plaisance, en l’occurrence aller parler à son voisin de mouillage sans respecter la quarantaine… Comment leur expliquer que nous arrivons de plusieurs semaines de quarantaine ? Et que le danger pour nous vient de ceux qui pouvaient évoluer librement encore la semaine d’avant à terre ? En effet, le confinement total a été déclaré seulement depuis une semaine ici, alors même qu’aucun cas n’est connu dans les EXUMAS.

Alors, ok, je module un peu le propos, vous aussi, en France ou ailleurs, êtes confrontés à certaines situations « décalées » chaque jour. Et puis les plages vous sont encore interdites jusqu’à la fin mai (décision incompréhensible autant que discutable dans certaines zones). Désolé ça doit être le choc culturel ou les effets secondaires de notre provisoire déconfinement.

Bref, si vous avions envisagé un ravitaillement pas forcément évident, nous n’avions cependant pas imaginé une telle ambiance. Il y environ 50 bateaux mouillés à Georgestown (contre peut être 350 habituellement) et la moitié semble être ceux de retraités ou de personnes habituées à y passer l’hiver. Le fait que nous soyons des familles, sur le point de traverser l’Atlantique avec de jeunes enfants ne semble pas les émouvoir. Le protocole, respecter le protocole, tel est le mot d’ordre. Où en est le libre arbitre là-dedans ? Heureusement, nous avons choisi le bon côté de la Baie, et le catamaran GAIA va nous aider à rapidement orienter nos recherches dans la bonne direction. En nous fournissant une connexion internet d’abord, indispensable pour passer nos commandes, en nous indiquant les produits à éviter et autres astuces. Dans la rade, Roston, un bahamian barbu et fatigué par de longues journées de travail, vient nous proposer de vider les poubelles, offrir de l’eau (tout ça gratuitement) et ravitailler en Gasoil et en gaz. Jusque là tout va bien, mais la pompe de la station de gaz tombe en panne et à ce jour, nous ne savons pas encore comment recharger nos bouteilles. Deuxième émotion du jour, ce matin, lorsque l’épicerie m’annonce le prix à payer pour notre ravitaillement : 3985 USD (environ 3600€) … !!! Exclamation, demande d’explications, j’avance que même ma carte bleue ne voudra pas régler une telle somme, mais la dame au bout du fil (la vendeuse du magasin) ne veut rien savoir et menace de m’envoyer directement la police si je ne paie pas immédiatement la facture, bloquant par la même occasion celle de nos amis. On envisage presque un départ aussi sec en transat. Finalement, nos amis sont livrés, on comprend qu’elle a entrevu un problème, m’envoie le ticket de caisse et elle admet finalement une erreur (confusion à deux reprises entre le code du poulet et le code des pommes, mais tout de même…). Excuses et profil bas…j’en profite pour supprimer un maximum de choses de la commande non prioritaires puisque je connais maintenant les prix et la diviser par plusieurs unités !  Les meilleures économies de ma vie ! Le Covid rend fou non ?

Ce qui m’étonne quand même quand j’y repense, c’est que la Dame de l’épicerie n’ait pu s’émouvoir de vendre 3 caddies à 3985 Dollars. Cela donne une idée du niveau de vie ici. Ou du surmenage de la Dame qui se plaindra à plusieurs reprises d’avoir fort à faire avec tous les bateaux à livrer. Qu’est ce que ça doit être en saison normale…

Grace à la farine, Jean peut se remettre aux fourneaux et nous faire des pancakes !

Bref, je reviens à nos « sheriffs-du-mouillage-d’en-face (après Jules-de-chez-Smith-d’en-face) et une chose qu’on ne peut leur retirer : leur dévouement et leur disponibilité. Par exemple quand j’ai lancé un appel pour connaitre le revendeur de moteur électrique du quartier (notre moteur d’annexe est HS) un monsieur très aimable a passé des heures sur les forums ou FAQ du fabricant TORQUEEDO pour tenter de me répondre. Et quand le boucher a oublié de me livrer les saucisses, la référente « boucherie » de la baie Jeeny a remué ciel et terre pour les récupérer, allant jusqu’à créer un groupe what’s app « missing sausages » … Saucisses que nous avons goûtées dès ce soir, et dont nous aurions longtemps regretté d’être privés.

Ce vendredi, nous quittons donc sans regrets la baie de Georgestown, sans regrets certes, mais sans chocolat non plus, la vendeuse de l’épicerie nous ayant là aussi fait faux bonds (et je passe d’autres détails). Heureusement, en ce 1er mai, elle est partie à la pêche, délaissant sa boutique, avant de se confiner pour le WE chez elle comme depuis le début avril. Règle étonnante que ces confinements du WE. Et dommage pour le chocolat.

Sans regrets encore, mais toujours sans papiers, et avec la perspective d’errer encore une bonne semaine avant de partir en transat. Attention, nous avons bien l’intention de profiter de ces derniers jours dans cet environnement très agréable. Cependant, le dernier message du bureau de l’immigration des EXUMAS a été clair, nous ne sommes pas sensés faire du tourisme en ce moment. Nous pensons remonter jusqu’à la marina de STANIEL un peu plus au Nord afin de remplir les dernières bouteilles de gaz, notamment pour nos amis sur le catamaran qui eux en ont impérativement besoin. Il y a aura bien un ou deux arrêts sympathiques sur la route. En attendant, nous faisons le plein de nouvelles, nous avons troqué une carte SIM contre un paquet de cigarettes avec le sympathique skipper suisse d’un catamaran en partance pour les Antilles.

Excellente opération qui nous permet de nous reconnecter et d’appeler nos familles. C’est fou la valeur qu’ont pris les « datas » tout au long de notre voyage. Les précieux gigas nous permettent d’alimenter le blog, télécharger des podcasts, envoyer des vidéos, et communiquer avec la France.  Grâce à la caméra, nous leur montrons notre environnement. Avec certains nous ne nous étions pas « revu » depuis notre départ il y 8 mois. En échangeant sur les nouvelles d’Europe et du COVID, nous réalisons que l’affaire ne sera pas terminée à notre retour, qu’il y a forcément des retours de flammes tant de la part du virus que de la situation économique. Le secteur dans lequel j’évoluais avant de partir (la course au large) va devoir faire preuve d’une grosse capacité d’adaptation pour supporter l’annulation ou le report des épreuves, ou négocier des budgets devenus non prioritaires…Si nous n’étions clandestins aux Bahamas, n’aurions-nous pas la tentation de Moitessier ?

Joie de retrouver un peu d’air !
Children BAY

Ce soir nous sommes mouillés près de « Children Bay », une petite baie aux eaux dont la transparence et la couleur émeraude nous laissent éblouis, mais nous nous sommes fait une petite frayeur sur la hauteur de l’eau. La quille de LOLITA n’étant pas loin de racler le fond de la baie. Même si les fonds sont constitués de sable, il peut y avoir aussi des patates de corail qui nous barre le chemin.

Après une nuit torride au mouillage, sans vent, la température a du mal à baisser à bord, nous retrouvons nos amis d’AIMALAIA le lendemain dans le mouillage de Children Bay.  Xavier, passionné de kite (et en maitrisant parfaitement l’art) résiste difficilement à l’envie d’une petite session, même si nous ne sommes pas seuls dans le mouillage (5 gros catamarans occupés par leur équipage professionnel mouillent également dans la baie, vraisemblablement en attente de jours meilleurs, les clients ayant déserté bien sûr les Bahamas). On se planque derrière une petite île mais le camouflage reste dérisoire. Nous dînons ensemble ce soir et partageons les bonnes provisions de notre escale. Quel plaisir !

Quand on vous disait que les cales sont pleines, c’est un euphémisme : c’est bien simple, notre avitaillement déborde de partout. Dans les filets arrières sous le portique trônent des ananas, pomelos et oranges ; aubergines et mangues ; à l’abri de la lumière, pommes de terre, patates douces, authentiques pommes Gala, et butternut (légume idéal à pour sa conservation sans égal) Dans les coffres, les citrons vert, jaunes, les tomates, choux-fleurs et concombres. D’extérieur, tout cela respire les vitamines et sans doute les OGM (tout vient des US) et nous espérons qu’ils tiendront aussi longtemps qu’ils restent resplendissants. Mais les concombres ont déjà pourri alors, on surveille de près tout ce petit monde. Dans notre frigo, la « mine » comme nous l’avons surnommé, la viande, bacon, poulet, les œufs (made in USA, ils sont hypercalibrés et super nettoyés, il faut les conserver au frais car ils pourraient pourrir bien vite), un peu de fromage (Gouda, Cheddar, on n’est pas au pays du fromage) de la crème fraîche, du beurre salé (de Nlle Zélande) doux (Président) ou de la Margarine qui fait bien le « job » pour nos pâtisseries. L’impact Carbone de nos courses en « or » se révèle ahurissant. Côté frigo La mine tient son surnom du fait qu’il est tout en profondeur, avec ouverture sur le dessus. Donc quand vous avez rangé la crème au fond du frigo et que vous préparez un gratin, tout à coup, vous pouvez avoir un sentiment de solitude et soupirer avec regret « bon, bah je vais à la mine, ne m’attendez pas ….»   Surtout quand le frigo est plein. L’enjeu de tout cela c’est de ne rien gâcher. Pas facile mais cela nous tient à cœur. L’avantage du frigo c’est qu’il nous fait des bonnes blagues aussi parfois. Par exemple, quand nous retrouvons un Roquefort bien bien fait, en vidant le frigo à Cuba. Et qu’il retombe chaque fois tout au fond, et que nous dégustons finalement aux Bahamas il y a 3 jours…heureusement, son conditionnement irréprochable nous a préservé des odeurs mais pas du vieillissement harmonieux. Il s’avère en effet bien moisi.

Ce qui se vide irrémédiablement en revanche, c’est le bar de LOLITA. La vente d’alcool a été prohibée aux Bahamas la semaine avant notre ravitaillement. Et paf, on apprend la nouvelle après avoir généreusement entamé nos stocks de bières acquis on bonne quantité pourtant à Cuba. Regrets…. Une bonne bière fraîche quand même, après deux heures de plongée sous-marine, fusse-t-elle tombée tout au fond de « la mine », qui ne se laisserait pas tenter ??

Bref, comme vous pouvez le voir, nous sommes loin d’être malheureux. Nous avons même bien conscience de notre chance et de notre situation privilégiée actuellement. Dans un coin de nos têtes, pourtant, commence à s’immiscer certaines pensées d’avenir, la perspective du retour, à commencer par celle de la transat…

9 réflexions sur “Aux Exumas, un ravitaillement en « or »

  1. bibi

    On parcourt les récits ‘OLAVENTURE’ de plus en plus anxieux, en se demandant si ces sacrés Yankees ne vont pas vous confiner pour de bon entre 4 murs.. Et je ne parle même pas des passages tendus avec un quillard et autres requins farceurs!
    Quant à la nourriture OGMisée, vous devriez voir bientôt vos cuirs chevelus resplendir.. ( et les poils sur les jambes pousser de plus belle !)
    On pense toujours fort à vous !

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  2. Elise

    Coucou les amis, c est un bonheur de vous lire, on entend vos voix raconter vos aventures!!! Tres très heureux pour vous! Ici pas de rugby, pas de plages, vous nous rapporterez certainement ces libertés à votre retour! N oubliez pas de mettre au fond de votre mine un mérou et des langoustes qu’on se fera griller au perello 😉🎶

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    1. Merci pour votre message , pas sur de pouvoir garder les précieux poissons mais on vous racontera autour d’un pique-nique à la plage. J’espère que les choses se seront arrangées à notre retour mais mon petit doigt me dit que la chienlit va continuer un peu. On vous embrasse bien fort

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