Une Transat en famille…dans la joie !

Lol N°28

Vendredi 7 décembre – En avant pour la grande traversée

Village de Tarrafal, Santo Antao, à g. on devine le shore break qui rend le débarquement en annexe assez scabreux
A gauche la langouste « brune » (chair ferme), à droite la Langouste des Canaries ou « cigale » (chair plus délicate)
Nos amis de Spica partiront 4 jours plus tard de Mindelo

Départ tout en douceur de Santo Antao, baie de Tarrafal, après avoir dégusté nos pâtes aux langoustes, livrées le matin même à domicile par des pêcheurs contre un billet de 10 euros. Le matin j’étais partie à terre avec Juliette compléter notre avitaillement un peu léger en fruit (mes fameuses pommes !). Nous trouvons tout ce qu’il faut à l’épicerie du village. Pour débarquer en annexe par contre, c’est une sacrée aventure dans les rouleaux (des pêcheurs nous réceptionnent à l’arrivée) Quant à l’embarquement, nous nous débrouillons toutes seules, Juliette se comporte comme un chef, en observant le train de houle, on choisi la bonne vague et hop, en voiture, vite sur les avirons, souquons, et filons ! ouf 😊 Retour au bateau pour plier l’annexe et la caler sur la plage avant, et déjeuner. Et …c’est parti !

Avec le dévent de l’île, l’air, comme la houle, sont aux abonnés absents. Mais on retrouve les deux compères rapidement, à mesure qu’on s’éloigne des côtes. En quelques minutes, le vent passe de 0 à 30 nœuds et la houle, de 0 à 3 mètres. Les vagues se creusent, le vent gonfle les voiles, Lolita commence sa danse habituelle de Saint Guy, une danse frénétique, fait de sauts et de déhanchements, de bonds improvisés, de valses folles, de balancements ininterrompus. Les premières heures sont sportives. Avec Caroline, on guette l’état sanitaire des troupes, mais le mal de mer ne semble pas vouloir prendre ses quartiers sur Lolita et c’est tant mieux. L’état d’esprit des enfants comme des parents, est à la fête, au soulagement et à l’excitation ! Fête de se retrouver en mer, soulagement d’être épargné par les problèmes techniques (l’épisode de la veille des ruades intempestives du pilote nous avait vraiment inquiétés…), excitation de la première transat. La canne à pêche est de sortie, on a baissé la table du carré pour faire une grande couchette, Jean a mis ses écouteurs pour écouter de la musique, Juliette s’est blottie dans les bras de sa maman, Pierre-Louis ne tarde pas à s’endormir pour une sieste réparatrice, c’est parti pour la Transat, 12 à 14 jours de mer.

Avec le vent qu’il y a, nous avons délibérément choisi de naviguer sous voilure réduite : 2 ris et le génois enroulé au quart. Cela n’entrave pas la bonne marche du bateau qui file allègrement ses 8 nœuds, en flirtant parfois avec les 10 nœuds. Ça part vite et c’est bon pour le moral d’avancer de la sorte.

Nous avons de toutes façons une bonne idée de ce qui nous attend et les prévis sont conformes à la réalité (Merci Claire et Christian pour les infos !)

Samedi 8 décembre – la petite vicelarde

Ca pousse fort ! 25 nœuds établis, rafales à 30. Le temps est bien maussade et nous gratifie même de quelques averses, les premières depuis bien longtemps. Les dernières remontent à La Corogne, en aout si mes souvenirs sont bons.

Activités du bord : lectures (Pierre-Louis dévore son livre sur la deuxième guerre mondiale), jeux de carte et l’inévitable ridder (jeu vidéo sur le mobile de caro), que nous « autorisons » à intervalles irréguliers, à la grande joie des enfants, captivés par l’enjeu et s’encourageant mutuellement. Nous, les parents, prenons aussi le temps de lire, pendant nos quarts ou les moments calmes de l’après midi.

En fin de journée, alors que les enfants sont justement en pleine partie (ils attendent depuis le lever du jour), une vague vicelarde vient se fracasser contre le flanc de Lolita et douche littéralement et instantanément tout l’équipage ! L’effet de surprise est total, autant que le rire général qui suit la scène. Jean malgré tout, dégoulinant, continue la partie, hypnotisé par son jeu fétiche…

Dimanche 9 décembre – un dimanche rodéo !

Pas d’accalmie à bord de Lolita. Nous avalons les milles à vitesse soutenue, et Lolita continue sa folle chevauchée. La mer est magnifique, sous ses airs de grande dame agitée, qui remue ciel et mer pour on ne sait quelle raison obscure. Les vagues ressemblent à une immense horde de cavaliers qui chargent au galop. Depuis le mirador de notre bateau, on les observe qui foncent sur nous, se ruant de toute leur puissance sur notre petite forteresse. Tout autour, la mer est transformée en un vaste champ de bataille : chaque déferlante, s’écrasant dans un flot d’écume blanche, donne l’impression d’un cavalier tombé à terre, stoppé net dans son élan.

Physiquement, sur Lolita, la sensation que nous éprouvons est celle d’un rodéo endiablé : La vague d’abord se creuse, comme si le cheval prenait son élan avant de se cabrer. Puis d’un bond prodigieux, elle nous soulève d’un coup, nous hisse sur leur dos, et nous projette en avant dans une folle ruade. Le bateau devient (et tout l’équipage par la même occasion) alors soudainement le cowboy du rodéo auquel elles concourent. Projeté de haut en bas, d’en avant en arrière, vous vous cramponnez à votre monture. A l’intérieur du bateau, c’est la valse des objets et des occupants. On se contorsionne en s’agrippant à ce que l’on peut : la main courante de la cuisine, le cadre de la porte, les marches de la descente, la table du carré. Naturellement, il y a parfois des ratés, et on entend alors des « pafs », des « aie » et des « ouins »… Mais, rassurez-vous, nous avons la tête dure, et aucun bobo sérieux à déplorer.

C’est dimanche ! Comme nous sommes croyants et que pour nous c’est important, nous faisons un temps de célébration et de prière, bien aidés par le « Prions en église » du temps de l’Avent. Aujourd’hui l’évangile du jour, c’est « Convertissez-vous ! » (je pense à Patrick B. qui doit bien se marrer en lisant ces lignes !). Pierre-Louis souhaite que les poissons se convertissent à notre ligne de pêche… et Jean remercie Jésus d’être autorisé à jouer à Ridder. Pas gagné… Mais enfin, à contempler chaque jour l’immensité de l’océan, les merveilles de la terre et la beauté d’un ciel étoilé, comment ne pas croire ?

C’est l’heure du déjeuner ! Moment sacré sur Lolita ! A bord, c’est le règne des « bonnes fourchettes », alors nous préparons un repas spécial (rôti de bœuf, pommes de terre sautées !) avec même un gâteau au chocolat certes à la margarine (on rationne le beurre pour les petits déjeuners !) mais « ma foi fort goûtu », comme dirait nos aïeux ! on se régale.

Le vent s’est renforcé dans la nuit. Caroline me réveille pour prendre un ris. La manœuvre, à deux, est beaucoup plus facile et rapide. Tous les deux, nous enchainons les quarts (3 heures chacun), qui s’écoulent assez paisiblement, entre veilles régulières dans le cockpit, surveillance des indicateurs du bord (vitesse et angle du vent), lectures, podcasts de France Inter (vive Fabrice Drouelle et son émission « Affaires sensibles »), musiques et petits sommes réparateurs. Les réveils sont toujours un peu douloureux, mais nous tenons la forme : Pas d’endormissement intempestif ni hallucination nocturne à signaler jusqu’à présent. Cette nuit, Pierre-Louis prend son premier quart de nuit. C’est lui qui m’a demandé « cette faveur » la nuit dernière. Comment lui refuser ??  Je le réveille à l’heure convenue (il est 3 heures du matin), celle où la lune se couche et laisse apparaitre un ciel étoilé exceptionnel. En cadeau : la croix du sud que nous apercevons pour la première fois du voyage. Sublime !

Lundi 10 décembre : poissons : 3 / Lolita : 0

Ce qui est bien en mer, c’est qu’on n’a pas d’autre choix que de prendre le temps. Le temps s’étire, prend son temps, et, luxe suprême, il arrive même qu’on s’ennuie (flemme de lire, de jouer, de raconter des histoires). Alors on regarde la mer et chaque petit évènement prend une dimension exceptionnelle : l’apparition soudaine d’un petit pétrel noir, le vol interminable d’un poisson volant à la surface de l’eau, la cavalcade effrénée des vagues, le sillage du bateau dans la mer, la beauté envoutante de l’aube qui pointe ou d’un coucher de soleil à l’horizon.

L’après-midi : Fabrication maison d’un calendrier de l’Avent. Attention, c’est chiadé ! Chacun des enfants à le sien, avec cinq petites fenêtres à ouvrir, chacune d’elles comportant une Bonne Action à réaliser et une surprise à découvrir. Les enfants décorent chacun leur calendrier, ils auront chacun 5 fenêtres à ouvrir d’ici Noël. On espère que cela leur fera passer le gout du jeu Ridder, pas sûr.

Quand on fait le premier point sur la carte, cela donne comme un petit vertige.

En attendant, on vient de franchir les 500 milles parcourus, soit un quart du trajet. Caro tient les comptes fidèlement et, avec l’aide de Pierre-Louis, fait un point quotidien sur la grande carte routière « Route du Rhum ».

Alors que nous dînons tranquillement (des pâtes au pistou, faciles à préparer, et d’après Jean « les meilleures pates de ma vie »), ziiiiiiiiiiiiiit, ziiiiiiiiiiiiiiiit, la ligne de pêche déroule à vitesse grand V. Ca mord à l’hameçon ! Vite je me précipite sur la canne, et commence le combat. La ligne (200 mètres) s’est entièrement déroulée et il va falloir donner de sa personne pour rembobiner toute cela. On voit au loin le poisson qui fait des bonds. Les enfants hurlent, complètement hystériques « un poisson, un poisson ! » et commencent déjà à se disputer le droit de remonter la prise à bord. En fait, cette scène cela fait trois jours qu’elle se reproduit à bord de Lolita, mais à chaque fois, soit le poisson se libère, soit le fil cède. Autant dire que la pression pour le ramener à bord est forte ! l’affaire se présente plutôt bien. Le poisson est bien ferré, et j’arrive à le ramener petit à petit. Mais alors qu’il me reste à peine 20 mètres, crac, la ligne casse de nouveau… Enorme déception à bord, papa vexé, Pierre-Louis dans tous ses états, Juliette imitant son frère, bref le drame. Seuls Jeannot et maman restent positifs… Sommes-nous maudits ?? En réalité, le problème, c’est que nous sommes trop rapides. Des surfs à 10 nœuds, c’est sûr que ca n’aide pas pour remonter une prise. En attendant, nous sommes en train de vider consciencieusement notre stock de rapalas et d’hameçons. Bientôt nous n’aurons même plus de quoi pêcher… Comme dirait Pierre-Louis, « Question pêche, on est des bons à rien…». Je suis dans mes petits souliers.

Mardi 10 décembre – tangon, acte 1 !

La nuit avait pourtant commencé de manière paisible. Un beau ciel étoilé, 20 nœuds de vent, une mer moins agitée que les jours précédents. Mais voici que le vent se renforce sensiblement. Il monte à 25 nœuds établis. A ce moment-là, dans la nuit éclairée de toute sa splendeur par la lune au zénith, Lolita file allègrement ses 8 nœuds, surfant de vagues en vagues.

Mais soudain, dans une rafale un peu plus forte, et alors que, gagné par le sommeil, ma lucidité en a pris un sacré coup, le bateau part en surf d’un côté puis de l’autre. Crac, le tangon se plie en deux, cisaillé net par le hauban. Le tangon, c’est le tube en aluminium qui permet de tenir la voile d’avant gonflée lorsque le bateau est au vent arrière.

La journée se passe donc en réparation et en bricolage divers. Je commence avec le groupe d’eau, qui nous donne toujours des soucis, avec un filet d’eau ridicule au robinet de la cuisine… Ce souci, je le sens, nous accompagnera tout au long du voyage. Ce sera notre « sparadra » du capitaine Haddock à nous, celui qui ne vous quittera pas du voyage. J’enchaine avec la réparation du tangon, cassé net durant la nuit. L’opération est plus compliquée et me prend le reste de la journée. Mais au milieu de l’après-midi, victoire, nous rehissons la voile d’avant.

Les enfants eux sont comme des poissons sur l’eau : ils jouent (vive le nain jaune !), lisent, s’excitent aussi allègrement, s’inquiètent beaucoup des repas et autres encas. La question favorite, je vous la donne en milles, est « qu’est ce qu’on mange ce soir ?? ». L’important avec eux, c’est de bien enchainer les activités, sans quoi l’excitation peut vite transformer le bateau en ring de boxe (ou plutôt en terrain de rugby, ce serait plus juste : le carré de Lolita, transformée en grande banquette, avec ses cousins, est le terrain de jeu idéal). Aujourd’hui, atelier pâtisserie : confection d’un crumble aux fruits du Cap Vert. Il était temps, les bananes avec la chaleur ambiante, commencent à sentir le chaud !

Depuis 3 jours nous mangeons les poissons volants qui attérrissent sur le pont par mégarde. C’est assez bon en friture. Le matin, Pierre-Louis fait le tour du bateau, récolte les imprudents ensuite Jean, notre préposé au vidage et écaillage rentre en action. On s’en lassera finalement. Vive le thon en boîte.

apparemment les poissons volants naissent en sachant voler

Mercredi 11 décembre  – Tangon : acte 2.

Dans la nuit, le tangon s’est de nouveau plié en deux, exactement de la même manière que la nuit précédente. Cette fois, c’est Caro qui était à la manœuvre. Elle est d’autant plus vexée que, dans son cas, elle était justement en train de rouler la voile d’avant à l’approche d’un grain lorsque la mésaventure s’est produite. La bascule brutale du vent a eu raison de l’espar. Je grimpe sur le pont pour l’aider à affaler, mais ne peux m’empêcher de rigoler de ce « beau doublé » ! Le lendemain matin, je me retrouve à refaire exactement le même bricolage que la veille : démancher, percer, scier, repercer, ajuster, remancher. En deux heures, la réparation est terminée (contre 6 heures la veille) et nous pouvons renvoyer notre vaillant espar, certes amputé d’un bon mètre de sa longueur (initialement 4 mètres). Le vent nous pousse toujours aussi puissamment vers notre destination. Caroline s’applique à trouver la meilleure trajectoire, s’aidant des fichiers météo.

Les ciels de Transat n’offrent pas toujours du bleu

Grace à notre téléphone satellite, nous nous mettons en relation avec Martin, le frère de notre ami Germain, qui, étonnante coïncidence, traverse également l’Atlantique avec deux copains. Leur bateau Makeba, se trouve à quelques centaines de milles nautiques exactement au nord de notre position. Nous recevons aussi des nouvelles d’autres voiliers en mer. Cerise sur le gâteau, Germain nous adresse les mots d’encouragement et d’amitié transmis par les copains et la famille. C’est un régal de les lire ! Merci à vous pour ces signes d’amitié qui nous donnent le sourire aux lèvres !

Mercredi 11 décembre : Voile à l’horizon et Spaghetti bolognaise

Les jours s’enchainent, les quarts de nuit, les quarts de jour, les repas, les siestes, les réglages de voiles, les lectures, les films, les jeux, l’école, le dessin, la contemplation des couchers de soleil et de la mer.

Pierre-Louis s’exclame : un bateau ! il vient de repérer une voile à l’horizon. Nous les appelons par VHF (la radio du bord), pour les saluer : Ce sont des allemands, sur un bateau de 24 mètres qui « transate » depuis les Canaries. Ils sont bien plus rapides que nous, et très vite disparaissent de notre horizon. Deux sillages qui se croisent au milieu de l’Atlantique. Eux prévoient d’arriver dans 5 jours à destination (Saint Martin) alors que, d’après nos calculs, nous en avons encore pour minimum 7 à 8 jours. Chacun son rythme, chacun son allure !

Bing, alors que Jean s’excite avec Juliette dans le cockpit, celui-ci fait un véritable vol planné dans la descente et se fracasse au pied des escaliers. Plus de peur que de mal, mais la chute, que je vois sous mes yeux, est spectaculaire ! Mis à part un petit doigt endolori, et le souffle coupé quelques minutes, Jean se retape devant un film. Ouf, on respire !

Ce soir Hervé a cuisiné un must du bord, des spaghetti bolognaises (surprise promise dans le calendrier de l’Avent !). Les enfants sont ravis ! On chante et on danse sous les étoiles. Eminem, Goldman, Bigflo et Oli sont les invités du bord. Après le concours de blague et les chants plus traditionnels, direction la bannette. Sauf… pour Caro, qui commence ses quarts.

Jeudi 12 décembre : rorquals tropicaux sous le bateau !

Chaque jour une surprise ! Hier c’était un voilier croisé sur notre route, aujourd’hui des rorquals curieux qui viennent taquiner notre coque. Les enfants sont aux anges ! Jean et Juliette hurlent : « des baleines, des baleines » en se précipitant à l’avant du bateau. C’est Caroline qui les a vues en premier, en voyant une tache turquoise dans le bleu pétrole de l’océan. Suivant Lolita dans les vagues, nous les voyons surfer les déferlantes : c’est magique !  L’activité en cuisine consiste à réaliser un gâteau marbré sans repeindre la cuisine. Jean en rêvait, et s’applique malgré les coups de gîte intempestifs.

Vendredi 13 décembre – mi-parcours !

Ce soir c’est fête, car depuis la nuit nous avons fait plus de la moitié du chemin (pour mémoire, celui-ci est de 2000 milles entre Le Cap Vert et la Martinique). Nous sommes donc au beau milieu de l’Atlantique ! Pour fêter cela, nous organisons un diner apéro à bord, avec soda pour les enfants et bière pour les parents (la première depuis le Cap Vert) : Cake aux olives, guacamole, tarte tatin, la cuisine chauffe. La mer s’est calmée et le vent reste sagement à 20 nœuds. Il y a une belle ambiance à bord, on sent notre Pierre-Louis soulagé par les milles parcourus, et aussi la trouvaille d’un livre de Jules Verne, « L’Ile Mystérieuse », qu’il adopte immédiatement. Le moral remonte en flèche. J’ai oublié de synchroniser la liseuse avant de partir et il manque quelques ouvrages à sa portée.

Côté parents il y a des quarts plus ou moins faciles à prendre la nuit, et certains réveils sont déchirants, tant pour celui qui réveille que pour celui qui dort à poings fermés. Nous essayons de nous décaler un peu à mesure que nous rattrapons le soleil.

réveil douloureux
Lever de soleil sous les yeux endormis de Pierre-Louis

Samedi 14 décembre – Histoires de seau et d’amitié

Ca glisse tranquillement, avec quelques ruades de temps en temps quand la mer le décide. Cet après-midi, les enfants regardent « Le Pôle Express » un joli compte de Noël. Naturellement décalé avec notre environnement !

Alerte sargasses ! Sargasses ? Ces algues qui pullulent dans les Caraïbes et s’invitent sur les plages paradisiaques de certaines îles. A 750 milles soit 5 jours de navigation, ça donne le vertige. Pourvue qu’on ne croise pas trop de bancs trop denses, cela pourrait nous ralentir un peu.

Au goûter, on anticipe sur la chandeleur et on s’imagine chez nous, dans notre bonne ville de Lorient : on fait des crêpes ! Mais une fois dégusté ce « miracle » culinaire (et on embrasse au passage Marielle de Carnel Crêpes, aux galettes incomparables), comme à chaque repas, il faut faire la vaisselle. Alors qu’Hervé s’apprête à puiser de l’eau de mer (eh oui, on s’adapte, depuis qu’on a perdu l’usage de notre déssalinisateur), la longe du seau lui échappe et voilà ce dernier qui s’éloigne à grande vitesse dans le sillage de Lolita. Hervé s’écrie : « un seau à la mer ! ». Dans sa tête, comme dans la mienne, c’est l’occasion rêvée pour effectuer un exercice « homme à la mer » ! Les enfants accourent sur le pont. Tandis qu’Hervé s’occupe de manœuvrer les voiles, (il faut enrouler le génois tangonné devant) je prends la barre et distribue les rôles : « Pierre-Louis, démarre le moteur, et remonte la ligne ! », « Jean et Juliette, ne quittez pas le seau des yeux et guidez-moi ! ». Nous faisons volte-face à la mer, rebroussons chemin dans la mer formée, vent debout. Lolita escalade vague après vague, et soudain, Pierre-Louis s’écrie « il est là, il est là ! ». Après plusieurs passages, Lolita s’approche doucement, Hervé hisse le seau à bord. Victoire ! Le seau est sauvé ! Les enfants exultent de joie comme s’ils venaient de sauver le plus précieux des trésors. On se congratule, on se félicite, c’est la fête.

Pour conclure en beauté la journée, nous ouvrons le paquet que nous avaient préparé pour la mi-parcours Sonia et Brice, des amis de Lorient (déjà deux tours de l’Atlantique à leur actif et un super bouquin : « Enfants de l’Atlantique, un tour d’océan en voilier à partager » – édition du rêve). Le paquet est rempli de petites attentions pour les petits comme pour les grands, qu’on n’aurait pas mieux choisi si on avait dû le faire nous-mêmes : une boite de crayons de couleur pour Jean, des gommettes pour Juliette, des galettes bretonnes pour Pierre-Louis, un petit livre de blagues sur la Bretagne pour les parents. Un vrai petit bonheur ! Merci les amis.

Dimanche 15 décembre – « argggggggggghh !! »  et clairs de lune

Comme on dit, « on n’a jamais été aussi près de la fin ! ». Et c’est vrai que depuis la mi-parcours, centaine de milles après centaine de milles, la distance au but diminue ! En revanche, les esprits à bord ont tendance à s’échauffer quelque peu. Avec trois enfants bien vivants et plus qu’énergiques, et la fatigue aidant chez les parents, c’est le contraire qui eut été étonnant… Résultat aujourd’hui, c’est clash sur clash ! Pierre-Louis qui se tient mal et excite son monde, Jean qui crie et enchaine les caprices, Juliette qui en rajoute et fait sa fofolle, oulala, on ne va pas vous mentir, c’est chaud. Papa gronde, maman menace, et alors que nous sommes censés être au pays de la sérénité, du silence et de la plénitude, ce sont cris et grincements de dent à trois milles à la ronde. Les oiseaux marins, les poissons et les baleines doivent se demander quel démon vient ainsi troubler leur quiétude. Pas de panique, c’est juste la famille Olagne qui est de passage. Mais rassurez-vous, amis les bêtes, l’orage ne dure jamais bien longtemps, et après l’orage, n’est ce pas, que retrouve-t-on ? Le beau temps ! Celui-ci revient sous la forme d’un beau gâteau au chocolat, cuisiné dans un des rares instants de répit de la journée… Sans oublier la visite d’un banc de dauphin, un petit moment de calme avec les enseignements du matin, la musique. Autant de moments bénits qui font retomber la pression.

Voilà, qu’on se le dise donc, même si on « kiffe » cette vie en mer, la « transat’ » n’est pas un long fleuve tranquille.

Cette nuit, la lune nous accompagne encore. Nous avons la chance d’être partis avec un quartier montant, et elle éclaire nos nuits depuis le départ. Au GPS nous sommes à 500 milles du but, à moins du quart de la distance. Le ventilateur extérieur ne faiblit pas, entre 25 et 30 nœuds. Lolita est toilée en conséquence (2 ris) et file dans les vagues. Dans le sillage, j’observe ces murs d’eau qui atteignent la hauteur de la filière arrière, mais elles ne déferlent pas et permettent au bateau de surfer avec des pointes à 10-11 noeuds. Il est 3 heures en temps universel. Le pilote automatique n’a pas fini sa journée, moi je passerai bientôt le relai à Hervé. 

Lundi 16 décembre

Croisé un tanker en route pour l’Afrique. Le seul et l’unique cargo de la Transat ?

Mardi 17 décembre.
Depuis trois jours, le vent souffle entre 25 et 30 nœuds, c’est sportif mais nous abattons les milles.

Tout va bien à bord, nous n’avons pas de gros bricolage à déplorer en mer, a part notre tangon c’est une chance car la transat peut vite se transformer en galère. Makeba, le bateau du frère de Germain, Martin nous envoie leurs petites nouvelles quotidiennes. Vit de mulet cassé, enrouleur de GV hors service, point d’écoute de GV déchiré, problèmes d’énergie…Heureusement, ils sont trois jeunes gens sans enfants à bord…Ils arrivent des Canaries et naviguent à 40 milles derrière nous sur un voilier plus rapide, nous allons les retrouver jeudi en Martinique !

Comme le pilote automatique assure vraiment bien son travail (24h sur 24h) nous touchons à peine la barre, sauf dans les grains ou certaines manoeuvres. La télécommande nous permet de corriger le cap, y compris de l’intérieur du bateau. Ainsi nos quarts de veille n’ont rien à voir avec des quarts à la barre qui pourraient s’avérer épuisants à la longue (si l’on considère qu’en dehors des quarts, nous avons le métier de parent à assurer)

Vaisselle à bord, un éternel recommencement

Mercredi 18 décembre

Demain nous aurons retrouvé la terre ferme ! On se pince un peu pour y croire. En a-t-on assez profité ? Ne va-t-on pas se retrouver d’un coup civilisation et foule sur l’eau ? Le Marin en Martinique n’est pas connu pour être un mouillage désert, au contraire.

D’un autre côté, nous ne serons pas mécontents de retrouver une vie un peu plus stable, car si la mer nous offre du bon surf, certaines vagues continuent de prendre le cul du bateau pour tout envoyer valser à l’intérieur. Préparer le repas dans ces conditions relève du combat.

Ce matin, alors que nous sortions d’une nuit sans histoire, j’ai vu arriver Pierre-Louis au début de mon dernier quart tout ensommeillé. Nous sommes sortis veiller un peu dehors et tout à coup Pierre-Louis s’écrie « Maman, qu’est ce que c’est que ce truc dans le ciel ??? » Je réponds tout de suite, « la lune, pardi ! Mais non Maman, la lune est au-dessus de nos têtes ! » Ah, bon, alors là j’hésite entre un projecteur géant et un ovni, d’autant que la chose lumineuse est cachée par un nuage qui éclaire un autre nuage en forme de soucoupe volante. Et puis je viens d’écouter un podcast sur les enlèvements extra-terrestre. Mais la chose bouge, et là, illumination, c’est une fusée ! La Guyane n’est pas si loin et nous avons des amis qui justement transataient justement vers la Guyane pour assister à un lancement. Incroyable ! Quel spectacle dans le ciel !

Sous un beau soleil, les enfants passent la journée à faire un tournoi de puissance 4 animé par Hervé. Quand on a l’énergie pour cela, on passe de bons moments à jouer. J’avoue que pour moi, l’ambiance est plus à la sieste.

Avant de terminer cette long post un peu décousu, nous ne résistons pas à vous livrer quelques « perles », ourlées par nos enfants pendant cette traversée :

La lune par Jean : « Papa, je voudrais aller sur la lune. Je peux y aller sur la lune ? »
Papa : oui bien sûr, mais il faut beaucoup travailler avant
Jean : « et si je tombe en panne de moteur ? »
Papa : « eh bien il faudra que tu répares »
Jean : « comme toi quand tu répares sur Lolita ? »
Papa : « presque tout pareil ».

Le quart de nuit : Juliette, un matin, toute fière de nous annoncer : « Moi j’ai fait un quart de nuit avec maman ! ». Jean lui répond : « Et moi j’ai fait un quart de rouge avec papa. Je veux dire, un quart de jour. »

Les deux rêves ultimes de Jean : « aller sur la lune et avoir un chien comme Hutch » (le petit chien du Sénégal)

La mer, ça vit. C’est évident, ça bouge tout le temps. Le mieux, c’est la nuit, les nuits noires, sans lune, avec pour seul éclairage, le ciel étoilé. Quand la mer est agitée, la mer est comme une sorte d’étrange créature vivante, agitée de milles mouvements bizarres, polymorphe. Le plancton, qui devient phosphorescent lorsqu’il est agité, donne lieu à une multitude de spectacles, de la même manière que les nuages du ciel donnent vie à des formes étonnantes, source inépuisable d’imagination pour qui les regarde d’un air rêveur. Ici un ourlet blanc, à quelques mètres du bateau, c’est le haut d’une vague qui déferle. Là une tache étincelante, scintillante de milles paillettes d’argent, est-ce un poisson qui s’agite dans l’eau ? Là, une trace fulgurante : une comète sous-marine ? Et là cette masse sombre et noire, une caverne des profondeurs habitée par un monstre terrible ?

Joie de l’équipage, la veille de l’arrivée

Jeudi 18 décembre

Fin de la Transat ! C’est émouvant, et en même temps nous restons concentré, il fait nuit, notre traceur fait des siennes, le puissant Alizé nous accompagne jusqu’au bout. Dernier empannage et Lolita pointe l’étrave dans la baie de Sainte Anne. Nous jetons l’ancre à 4h30 locale. Stupeur, les petits points lumineux aperçus au loin viennent des feux de mouillage d’une forêt de mâts…des centaines de voiliers au mouillage ? Bienvenue aux Antilles, le paradis de la plaisance. Ca va nous changer de Dakar ou Santa Luzia.

Nous sortons un bon vieux rhum arrangé (Merci Annie et François) pour fêter dignement ce passage, avant de goûter au repos des marins. Une tête apparaît puis, deux, puis trois ! Dites les parents, là, on est arrivés ? Nous nous retrouvons tous les cinq sous les étoiles, mais plus rien ne bouge. Un ange passe (et me finit mon rhum) il est temps d’aller dormir !

Merci à tous de nous avoir suivi pendant cette transat ! Le périple retour (en mai) devrait s’avérer plus coriace. En attendant, Joyeux Noël !

Lever de soleil
coucher de soleil

16 réflexions sur “Une Transat en famille…dans la joie !

  1. ANNE-SOPHIE

    Trop mignon, votre récit !
    (Mais vous n’auriez pas du nous dire que le retour serait plus coriace… je croyais que le plus dur était derrière vous). Profitez bien de votre séjour dans les îles et rendez-vous au prochain épisode !
    Bises à vous tous

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  2. jacotterichard74

    Quelle belle aventure ! Merci XXL de ns l avoir fait partager avec tant de Suspens et de Bonheur !de Luanda ( Noel compris !) je vs embrasse avec les cousins angolais . Bravo Pierre Louis , Jean et Juliette ! Noel en Martinique , joie et Paix on imagine ! Jacotte

    Envoyé de mon iPhone

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  3. Dans la Joie Yann

    C’est juste merveilleux.
    Merci pour ces belles histoires vécues.
    Gros et énormes bisous.
    En fait, je préfère lire tout ça après , ça permet de mieux dormir .
    Vivons dans la Joie
    Profitez bien de tout.

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  4. arnal yves

    Que de belles étapes, de belles rencontres et surtout cette ambiance familiale qui réchauffe les cœurs. Nous avons bien pensé à vous lors de notre périple aux Açores; j’espère que vous pourrez prendre un peu de temps au retour, pour profiter de ce bel archipel. Mais patience tant de chose à vivre avant.
    Je vous souhaite un joyeux Noël et vous offre ces quelques mots.

    Noël,
    Cœurs en fêtes,
    Esprit tourné vers l’Espérance.

    Dans la nuit scintille le phare,
    Dans la multitude grandi l’humble,
    L’unique se nourri de tous.

    Fête de la famille,
    Sa chaleur conforte les âmes,
    Sa concorde enracine l’avenir,
    L’union au delà des frontières.

    Une nuit aux milles étoiles
    Un sapin garni de magie,
    Des offrande ouvrant des perspective
    Avec toi, Noël ensemble.

    Yves.

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  5. Ludovic

    Top ces petites perles.

    Et quel beau partage d’expérience, je crois que, de mon lit où je vous lis, j’ai reçu quelques éclaboussures de la petite vicelarde.

    Je pensais que vous passiez par le nord de l’Amérique du Sud… du coup, vous ne serez plus en Martinique fin janvier ? Vous allez louper Marin !

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    1. o2

      Merci pour ce très beau post.
      On est contents de vous savoir bien arrivés et que ça se soit bien passé: on était un peu suspendus, à guetter les petites news…à espérer une belle navigation!
      Bon séjour à l’autre bout de l’océan!!!
      Biz la tribu Lili

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  6. Elisabeth et Roland

    Quelle Olaventure !
    Quelle jolie façon de nous la faire partager !
    Quelle énergie qui vous pousse tous à vos limites !
    Merci pour ce rêve en tranches.
    Et bravo !

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  7. EMMANUELLE BERTHE

    Bravo pour votre traversée !
    Merci pour ce merveilleux récit !
    Super l’idée du calendrier de l’Aven
    Profitez de votre escale… on se retrouve bientôt ! Trop hâte !!!
    Plein de bisous à vous tous !
    Manue

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  8. virginie

    Merci Hervé pour la carte postale que nous avons reçue dans la semaine, c’est gentil de penser à nous! Ici tout va bien, mieux que le temps avec les tempêtes qui s’enchaînent !
    Toute l’équipe d’ATV te transmet le bonjour.
    C’est super de lire vos aventures, bonne continuation et passez de bonnes fêtes de fin d’année tous les 5 ! Bises

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  9. Thomas Biasio

    19.5/20 pour ce fabuleux récit qui m’a fait sourire tout du long ( voir éclater de rire avec l’exercice du ‘seau à la mer’ ) . C’est genial continuez à nous régaler . vous pouvez proposer à jean de s’associer à Emma et Lucie pour partager un chien ..

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  10. Christophe Champenois

    Salut la famille Olagne
    voilà déjà une belle réussite dont vos petits se souviendront toute leur vie et qu’ils pourront encore enjoliver avec le temps
    On se croirait sur le bateau avec vous , entre gâteaux, pêche, et quarts …
    Bon repos aux Antilles mais méfiez vous ces petits bouts récupèrent très vite et vont vous en redemander
    Amitiés

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  11. Gery vendeville

    Mille mercis pour ce récit de Transat .
    Vous l’avez rendue accessible, simple, heureuse et généreuse, car elle génére des idées ,des besoins de partage et de liberté, des envies de mer !

    Belles fêtes et heureux séjour tropical !

    PS: Quant à moi, j’ai à convaincre mon équipage pour une prochaine transat !

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