Entre deux Iles

Lol n°18

Playa San Andres au Nord de Santa Cruz

Au revoir Tenerife ! Si nous avons vraiment apprécié tes paysages grandioses, tes aires de camping, tes belles bourgades héritées de ton glorieux passé (Tenerife était, au temps des navigateurs d’autrefois, une escale obligée vers le Nouveau Monde), tes pontons accueillants, mais aussi tes schipchandlers et ton Décathlon, si tu nous as permis de faire de belles rencontres (la famille du bateau Kaé : Olivier, Mathilde, Emile et Eglantine et nos deux voisins de pontons Annie et Franck sur Yakatupa), pour nous il est temps de te quitter car notre voyage continue. Ce n’est pas un adieu, ce n’est qu’un au revoir car nous reviendrons, c’est sûr. En route pour ta voisine, l’île de la Gomera.

Au moment de quitter le ponton (10 heures au lieu du 7h envisagée la veille, un grand classique de Lolita), je m’aperçois avec horreur que ma réparation des charnières de baille à mouillage est un échec total… Charnière montée à l’envers, et décalage de 5 mm… fatal. Un vrai gag des inconnus (Télématin avec le chef cuisto qui se coupe la main « j’ai beau être matinal, j’ai mal ! »). Je prends ça à la rigolade, mieux vaut en rire que pleurer ! Entre nous, cette histoire de charnières, je me demande si elle ne va pas me poursuivre jusqu’à la fin du voyage. Une sorte de supplice de Tantale version Lolita ! Et quand je serai mort, en mémoire, on mettra une photo de moi dans l’album de famille avec une charnière dans la main, et un tournevis dans l’autre, l’image sera belle. Qu’à cela ne tienne, cela ne nous empêchera pas de remettre les voiles. Ces foutues charnières attendront la prochaine escale, non mais ! J’en profite ici pour faire une brève parenthèse : le bricolage, c’est le piège du marin. S’il est incontournable, il s’agit cependant de le tenir parfois à distance : combien de marins épris de grand large sont restés à quai, à force de bricoler dans le vain espoir de naviguer sur le bateau parfait ? Les travaux sont au bateau comme le vin au tonneau des Danaïdes ! C’est sans fin et sans fonds !

Les stations du Sud de Ténérife, au pied du parc du Teide

Bref nous voilà repartis ! On comptait faire le tour de Tenerife par le nord, mais à peine contournons-nous la grande digue de Santa Cruz, que le vent nous saute au museau… 20 nœuds dans le nez, même pour faire 5 milles, inutile de souffrir, nous ne sommes pas des masochistes, le plan initial est vite revu : cap au sud ! Le route est dit-on moins belle, mais le résultat sera le même et la gêne en moins. Cela n’empêche pas nos deux moussaillons Pierre-Louis et Jean de laisser leur petit déjeuner dans le sillage de Lolita. Fort heureusement, cet épisode nauséeux n’entame en rien leur bonne humeur et leur plaisir d’être en mer, et le fait que la France ait gagné au rugby contre les Etats-Unis facilite bien les choses (ce n’est pas un exploit mais la route des quarts se rapproche !).

En fin de journée, après une navigation tranquille, nous arrivons dans la baie de Los Christianos, au sud ouest de l’île, station balnéaire devant laquelle nous mouillerons pour la nuit. Que vous dire sur cette ville, que nous ne verrons que depuis notre bateau ? J’essaie de trouver un image flatteuse. Depuis la mer, l’enseigne Mac Do pose le décor ; sur toute la façade maritime, l’architecture des bâtiments en style cage à lapins donnent le ton de la densité humaine qui règne dans la station. La plage de sable blanc elle-même semble importée. Je me mets à la place du Teide, le volcan de l’ile, si beau, si haut, si fier, qui contemple ce spectacle à ses pieds : il doit s’en retourner dans son cratère, comme les morts le feraient dans leur tombe.

Vous me direz : « Mais pourquoi vous arrêtez-vous dans cet endroit ? Pour montrer les beautés du tourisme de masse à vos enfants (eux qui, avouons-le, émettent ouvertement le souhait d’aller au Mac Do !) ? Non, rien de tout cela. Seulement parce qu’en arrivant au sud de Tenerife, nous étions fatigués, les enfants voulaient se baigner, et surtout, dans le détroit séparant l’île de Tenerife et l’île de la Gomera, une surprise nous attend (théoriquement!), et que pour en profiter, mieux vaut-il le traverser de jour.

La vigie en quête des baleines

Jeudi 3 octobre

ll était sans doute écrit que cette nuit au mouillage serait à l’image du cadre idyllique décrit plus haut : désastreuse… En raison de nos « stupides » a priori  de touristes privilégiés ? Honni soit qui mal y pense ! Bien fait pour nous ! Si en première partie de nuit, nous fûmes saisis par les sonos criardes des nights-clubs de la ville (ils étaient plusieurs à s’y mettre, ces vicelards!!!), l’hallali fut sonnée en deuxième partie de nuit, par le biais d’un phénomène naturel aussi infernal que nuisible. Le monstre du Loch Ness ? Un tsunami tropical ? L’éruption du Teide ?? Non, tout simplement une petite houle (succession de vagues venues du large), travers au vent. C’est bien simple, c’est le cauchemar du mouillage, le poison de vos nuits. Sa tactique : secouer le plaisancier assoupi à la façon d’une machine à laver : un coup à gauche, un coup à droite… doucement, puis de plus en plus fortement, puis doucement puis de nouveau plus fortement. L’effet ? un véritable enfer ! Encore, quand vous êtes en navigation, cela passe : la vitesse permet d’encaisser le roulis. Mais à l’arrêt, c’est une horreur (et ce n’est pas l’allitération en « r » qui me fera dire le contraire) ! Cela rappellera certainement de bons souvenirs à tous ceux qui en ont été victimes, à commencer par nos amis Valérie et Sam (mouillage de San Sebastian au Pays Basques Espagnols en 2015…).

C’est donc l’oeil bas, les traits tirés, les cernes creusées, le cheveu en pétard et la mine déconfite (sans compter un bon mal de crâne pour moi (qui suis normalement bon dormeur) que nous réveillons au petit matin. Les enfants eux ne se sont rendus compte de rien (quelle magie, l’enfance!). Ils sautent dans l’eau (toujours poisseuse) comme des lutins. Eux la ville de Los Christiannos ils s’en contrefichent, et la houle, même pas peur ! Pour eux, ce qui compte, c’est le plaisir d’une baignade avant de commencer la journée !

Petit déjeuner, une heure d’école, il est temps de remettre les voiles. D’autant que la surprise qui nous attend semble bien être au rendez-vous, à voir la multitude d’embarcations se dirigeant sur l’eau.

Dans une mer d’huile (où est passée la houle nocturne ?), sans vent et au moteur, nous voici en route pour la Gomera. Mais si nous voyons la petite île se dessiner très nettement dans notre étrave, c’est autre chose que nous cherchons avec attention, l’oeil aux aguets, les jumelles en bandoulière. Vous y êtes ? Non ? Alors voici le premier indice de notre quête : il s’agit d’un spectacle visible au ras de l’eau, que tout le monde rêve de voir… Toujours pas ? Deuxième indice : un mammifère marin parmi les plus grands du monde ?  Oui, j’ai la réponse sur ma gauche : des baleines ! Bravo les enfants de l’école de Keroman (fidèles lecteurs de nos nouvelles, on les salue !), vous avez deviné !!  Apparemment, la zone, très profonde et profitant d’un fort courant, les attire en nombre. Et en effet, bientôt, un souffle apparaît sur l’eau. Plusieurs embarcations sont déjà autours, à bonne distance. Il s’agit d’une famille de « globicéphales tropicaux », nageant paisiblement. Ces cétacés, à la tête massive, et à l’aileron dorsal parfaitement reconnaissable (en forme de virgule inversée) mesurent entre 4 et 8 mètres. Ce ne sont pas les plus grosses des baleines, mais de jolis bébés tout de même. Je me mets à l’eau. En vue sous-marine, le spectacle est unique. Ces dames se meuvent avec une lenteur extrême et une grâce étonnante. Elles semblent se prélasser doucement, comme des chattes au soleil. Flottant sous l’eau comme des bouchons, immobiles, voilà qu’en un mouvement de leur puissante queue, elles plongent d’un coup vers les profondeurs abyssales. Pierre-Louis et Jean se mettent à l’eau pour profiter eux aussi du spectacle. L’excitation est à son comble, l’instant tout simplement magique.

La matinée avançant, nous en voyons d’autres, puis d’autres. A force de va-et-vient, le temps passe. Mais voici que le vent se lève. Et bientôt toutes les embarcations sur zone disparaissent. Nous restons au milieu de l’eau comme la chèvre de monsieur Seguin au milieu de ses montagnes, seuls à profiter de la beauté du spectacle. Les enfants sont aux anges, les parents tout autant… Il nous reste cependant 20 milles à faire pour rejoindre la Gomera. 20 milles, me direz-vous, c’est comme Lorient Guidel, ce n’est rien ! Tintin. Voici que le vent forcit. 15 nœuds, puis 20 puis 25 puis 30, puis 35. Nous aurons jusqu’à 40 nœuds de vent. On nous avait prévenus, mais force est d’avouer que nous n’avions pas envisagé une accélération aussi soudaine. C’est l’occasion de voir comment Lolita se comporte dans de telles conditions. Eh bien, ma foi, nous ne sommes pas déçus. Avec 2 ris dans la grand voile, et la trinquette, pour suppléer au génois que nous avons prudemment roulé, elle semble danser sur l’eau comme un cabris dans la montagne. Et si la chèvre de Monsieur Seguin n’a malheureusement pas passé la nuit, mangée qu’elle fut par le grand loup (paix à son âme!), Lolita se sort de l’épreuve sans une égratignure ! C’est de bonne augure pour la suite. Et l’équipage dans tout ça ? Au top ! La capitaine, rincée de la tête au pieds, a le sourire aux lèvres, après trois heures à la barre, et les enfants, dressés debout dans le cockpit comme des petits lémuriens pendant toute la traversée, se tenant fermement à la main courante* de la capote, se souviendront longtemps de cette partie de « cache-cache » avec les vagues.

La Gomera

Nous voici donc à la Gomera, à San Sebastian exactement et c’est encore un régal. San Sebastian, où nous venons nous mettre à quai, est une petite bourgade charmante et authentique, nichée dans l’une des rares criques de l’île, qui ressemble plus à une forteresse des mers avec ses immenses falaises surplombant la mer. Christophe Colomb s’y serait arrêté en 1492 avec ses trois navires (la Pinta, La Santa Maria et la… j’ai oublié le troisième) avant de partir pour sa célèbre expédition, la découverte des Amériques (A ce propos, saviez-vous que Christophe Colomb était censé aller en Inde ? Et qu’il prit l’Amérique, lorsqu’il la découvrit, pour une nouvelle côte de ce pays?).

Vérif du gréement, et photographie presque aérienne du port de San Sébastian de La Gomera

De notre côté, et plus prosaïquement, après ces quelques heures de navigation, bien musclée, nous sommes contents de mettre pieds à terre. Sur place, à peine descendons-nous sur le ponton que nous sommes accueillis par une nouvelle famille : Bruno, Ségolène et ses deux garçons Ewen et Matthias, sur leur beau maracuja, prénommé Yemandja (des lorientais partis en juillet). Une nouvelle fois, la magie des rencontres entre enfants opère et après quelques courtes minutes d’observation, voici nos trois loulous qui disparaissent avec leurs nouveaux copains. On ne les reverra pas de la fin d’après-midi. Nous en profitons avec Caroline pour remettre les mains dans le cambouis, d’autant plus qu’un nouveau dossier s’est rajouté à notre petite liste de choses à faire (notre To do list comme nous l’appelons) : à Tenerife, nous avons eu le malheur de « prendre » du gasoil dans notre réservoir à eau (tandis que j’ouvrai le réservoir de gasoil à l’arrière, le pompiste pris l’initiative de fourrer le pistolet dans le réservoir d’eau encore ouverte, c’est l’inconvénient de tout faire en même temps). Quelques gouttes sans plus, mais qui suffisent à donner à l’eau une odeur et un goût à vomir… Entre les « adorables » charnières de la baille à mouillage et cette foutue galère d’eau polluée (dont on se serait bien passé, vous vous en doutez), sachez-le, la vie en bateau n’est pas toujours une sinécure. La seule chose qui nous est épargnée en cette fin de journée, ce sont les doux cris de nos enfants, qui eux, sont à la plage. On plaint d’ailleurs les touristes qui s’y prélassent, le volume sonore doit y atteindre des records (plage + nouveaux amis = beaucoup de joie à exprimer!).

Juliette découvrant une cabine téléphonique, objet disparu chez nous !

Le soir, après avoir « récupéré » notre petit trio, pour fêter notre arrivée à la Gomera, nous allons dîner dans l’un des petits restaurants de la ville. Les enfants qui attendaient ce moment comme des petits veaux la tétée, sont aux anges. Quel bonheur de partager leur enthousiasme au quotidien, les entendre nous couvrir de « papa, tu es le meilleur papa du monde ! » et « maman, je t’aime trop fort ! » et de les voir s’exclamer « c’est trop bien les copains ici », alors que deux jours auparavant ils nous suppliaient de ne pas quitter Tenerife et leurs copains d’alors ! Avec les enfants on passe des larmes au rire aussi aisément que Cendrillon se transforme de pauvre servante en princesse (et inversement il faut le dire aussi !). Les journées s’enchaînent et on se surprend Caro et moi à profiter de ces moments comme s’ils étaient les premiers : avec délectation, plaisir, bonheur. Pourvu que cela dure !

Vendredi 4 Octobre.

Journée studieuse sur Lolita en cette matinée. Il s’agit de la journée des évaluations nationales, que nous récupérons sur le site de l’éducation nationale à la demande des maîtresses. Chacun a les siens ! Caro fait passer ceux de Juliette, Hervé ceux de Jean, et Pierre-Louis enchaînent de son côté ses exercices de français et de maths. Ça carbure des neurones, aussi bien chez les enfants que chez les parents (on doit se creuser la tête pour faire comprendre les unités et les dizaines). Surtout rester concret : « Jean, tu confonds la maison des premières avec celle des deuxième!! allez un effort !! Regarde j’ai trois bonbons dans une poche et la j’en ai sept dans l’autre. Quand j’en ai dix, je peux en faire une boite pleine ! Alors combien de boite pleine j’ai à présent ? »… Heureusement les encouragements de nos chers maître et maîtresses de l’école de Keroman, nous permettent de relativiser les erreurs de nos petit et de surtout de ne pas trop nous inquiéter pour la suite ! Ouf, nous n’en sommes pas encore au stade du bac ! CP, CE1 et CM2, ici c’est plus aux parents de se mettre à niveau !

Mais le plus dur, c’est d’éviter les décrochages « précoces » des enfants ! Nous alternons les méthodes : Tantôt douces et encourageantes : « Allez, Pierrre-Louis, encore un petit effort, la récré est pour bientôt ! » ; tantôt fermes et menaçantes ! : « ca suffit Juliette, si tu ne finis pas ta ligne d’écriture, pas de récré ! ». Bref, on fait ce qu’on peut, et si nous restons (nous parents) encore des néophytes de l’enseignement, nous avons quand même quelques motifs de satisfaction à nous mettre sous la dent : 1) les enfants ne semblent pas dégoutés de nous avoir comme maitre et maitresse ! 2) notre capital « patience » n’est pas encore à bout, et on peut même dire qu’il se remplume et 3) les idées pratiques arrivent jour après jour !

Mais bon, soyons modestes ! Ce qui reste toujours le mieux, pour les enfants, « c’est la récré ! » comme dirait Jean.

Samedi 5 octobre

Toujours à San Sebastian de la Gomera ! Nouvelle matinée d’école pour rattraper les jours perdus et anticiper sur ceux qui le seront (les prochaines navigations). Les journées s’écoulent. Les enfants font leur vie ensemble. Beaucoup de nouveaux voisins dont, incroyable, le bateau Laoïs, l’ancien bateau de Claude Blouet que nous avions failli acheter, et son nouvel équipage (Yves, Bruno et Camille, des finistériens), très sympa. Nous retrouvons aussi nos bons amis Jean-Pierrre et Claudine, rejoint par le fils de Jean Pierre, Alexandre ! Plaisir des retrouvailles, des récits de mer, des récits de vie. En bateau, toutes les barrières tombent : les barrières liées à l’âge, à la classe sociale, à l’argent. C’est le feeling qui prend le dessus. Le plaisir d’être ensemble. Parfois il est vraiment bon, comme c’est le cas ici, parfois un peu moins. On apprend que c’est un bon copain de Bernard de Ravignan, un ami commun.

Quand les marins se retrouvent en montagne !

Demain nous partons en exploration dans l’Ile !

6 réflexions sur “Entre deux Iles

  1. Colette Bernard

    Quels écrivains du voyage vous êtes tous les deux ! De port en port et sur la mer, chaque photo nous fait faire le voyage avec vous. Merci, cher Hervé et chère Caroline. C’est formidable xxx Je vous embrasse, et vos trois magnifiques grands, de tout mon coeur par dessus les toits de Paris (où il pleut) Colette

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  2. nolleetjeanlouis

    Pour bricoler, il vaut mieux être entre deux iles qu »entre deux vins.
    Mais rassure-toi, Hervé: le premier que M. Besset d’Annonay dota d’un moteur à l’arrière avait trois vitesses en marche arrière et une seule en marche avant!
    Toujours subjugués par vos aventures, nous vous disons: « Encore! »

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