Toucher terre ou le bonheur du marin !

Lol n°11 

Lisbonne, le 2 septembre.

Ah les délices de Galice, que de douceurs, que de bonnes choses ! Mais gare à l’indigestion ! « Usit,  non abusit », comme dirait ma chère mère ! Cette indigestion, elle a pris pour nous la forme d’un épais brouillard qui s’est levé hier matin au moment de notre départ. Nous ne l’avions pas vu venir, sans doute envoutés par le caractère enchanteur de ces îles de Cies, qui, inutiles de le redire (mais on le redit quand même), nous ont vraiment séduits !

Et lorsque nous nous sommes décidés à lever l’ancre, vers 10 heures du matin, il faut l’avouer, nous n’en menions pas large. Nous avons beau avoir un bateau armé de tous les équipements modernes : moteur, radar, AIS, GPS (ce qui, au passage, nous fait nous prosterner jusqu’à terre, devant les navigateurs d’antan, qui eux n’avaient que leur voile et à leur boussole !), lorsque vous naviguez dans le brouillard, votre poil se dresse, votre estomac se serre, votre gorge se noue, votre sang se glace, je vous laisse le choix de la métaphore, bref, vous êtes dans vos petits souliers… Et je voudrais bien parier avec un Kersauzon, un Poupon, ou le plus éprouvé des navigateurs au long cours, que parmi tous les écueils de la navigation, naviguer par brouillard apparaît en haut de la liste ! Car naviguer dans le brouillard, c’est comme rouler en montagne, un jour de neige : vous ne voyez rien. Ni le marquage au sol de la route, ni la signalisation, ni les autres véhicules… Bref, c’est… comment dire : assez angoissant.

Caroline est à la barre, l’oreille tendue guettant le moindre son de moteur ou de corne de brune ; je suis à la table à carte, l’œil rivé au radar et à l’AIS. Les premiers milles passés, l’ambiance se détend et la sortie du chenal sud se fait heureusement sans encombre. Nous voici en haute mer, mais le vent est aux abonnés absents, et c’est notre moteur qui prend le relais (un grand merci au passage à Arnaud et Yann de Mécadiesel de Lorient qui m’ont sacrément aidé et « dépanné », c’est le cas de le dire, lors de notre de préparation à Lorient !).

Mais, me direz-vous, pourquoi ce départ précipité ? Pourquoi ne pas être resté quelques jours de plus à profiter des délices de Galices ? La réponse est simple : on en revient à notre affaire de fenêtre (cf lol précédente) :  la météo annonce pour samedi et dimanche un coup de vent sur le cap Finisterre et du vent fort pour la semaine prochaine ; si on ne veut pas rester bloquer en Galice comme Ulysse céder à la tentation des sirènes, il faut mettre les voiles !

La première journée de navigation est bien monotone. Faute de vent, nous nous retrouvons au moteur, lequel, même s’il tourne comme une horloge et me procure une vraie satisfaction, n’est quand même le moyen le plus confortable (pour les oreilles) de faire avancer notre joli bateau. Dans ces conditions, toujours dans le brouillard, on alterne avec Caroline la veille active (gare aux casiers !) et faisons passer le temps aux enfants : jeux (vive le jeu des 7 familles des animaux marins !), histoires (Vivent les Contes de la sorcière de la rue de Broca !! racontés par François Morel : une merveille !), cuisine (Vive Caro et ses incomparables saucisses lentilles). Le temps s’étire paisiblement, nous sommes hors du temps (les enfants à ce titre ne s’y trompe pas, ils restent en pyjama toute la journée !) et à part un ou deux bateaux croisés, dont un voilier surgi de la brume au dernier moment, la navigation est aussi monotone que le ciel.

Les frérots se serrent les coudes dans l’effort

Le brouillard se lève au moment où nous recevons le message d’accueil Orange sur notre portable, bienvenue au Portugal. Malheureusement il retombe avant la nuit…

Nous retouchons du vent en fin de nuit, et celui se renforce rapidement. Voiles en ciseaux (grand voile d’un côté, génois « tangonné » de l’autre), le bateau roule d’un bord sur l’eau et reprend sa danse de Saint Guy. Cette dernière ne fait pas le bonheur de notre vaillant Pierre-Louis, qui prend une teinte aussi pâle que celle du brouillard… le mal de mer le saisit et ne le quittera plus jusqu’à l’arrivée… Je fais ici une parenthèse et un aveu : c’est bien dur de voir son enfant souffrir et je vous avoue que dans ces moments-là, le sentiment de culpabilité est à son comble. C’est bien beau d’aimer la voile, de voyager en bateau, mais imposer cela à ses enfants, et de les voir dégobiller tripes et boyaux, je vous avoue que mon mal de cœur à moi, il est bien là. Je serai heureusement sauvé de ce sentiment d’indignité intérieure par Pierre-Louis lui-même, qui à l’arrivée à Lisbonne, vers 2 heures du matin, surgissant de sa cabine, comme d’un ours de sa tanière après un hivernage long et difficile s’exclamait : « Trop content d’être à Lisbonne, ça y est mon mal de cœur est passé, le bateau c’est bien ça t’emmène partout ! » et faisait aussitôt honneur avec un large sourire au plat de pâtes négligé au dîner. La vie en mer est faite de petits bonheurs.

L’arrivée à Lisbonne justement, parlons-en : elle est sportive ! alors que le vent s’était calmé aux abords de Péniche (fameux cap au nord de Lisbonne), le voici qui se renforce en arrivant aux abords de la capitale portugaise. La nuit venue, il se renforce très rapidement, montant d’un coup à 20 puis 25 nœuds. Lorsque nous pénétrons dan l’embouchure du Tage, il atteint les 30 nœuds. Heureusement la côte nous protège de la houle*, mais les derniers milles sont pavés de pièges : casiers, marques de danger isolé, bouées non signalées sur les cartes… Nous essayons de distinguer les feux de navigation, dans les lumières de la ville, Caro fait la navigation, je suis à la barre, essayant d’anticiper les départs au lof et de respecter mon cap. Ca y est nous arrivons. Considérant l’heure tardive et le vent puissant, nous avons décidé d’aller directement nous mettre à l’abri dans la première marina, celle de Cascais, à l’entrée du Tage. Dans la nuit, nous ferlons les voiles, installons aussières et pare-bats*. Caro fait une manœuvre impeccable.

Nous voici amarrés. Lolita s’est arrêtée de danser. Le vent lui continue sa course folle, mais elle ne nous intéresse plus. Nous sommes arrivés, et comme un alpiniste au sommet d’une montagne, nous sommes satisfaits, heureux et soulagés. A l’intérieur, les enfants dorment comme des biens-heureux, tête bêche dans la grande banquette du carré, qui a été leur quartier général pendant ces deux jours de navigation. Petit verre de whisky (merci grand Manu des mers du sud!), petite cigarette, soupirs de satisfaction, on est heureux, on est à terre.

Ecrivant cette nouvelle après coup, je me fais la réflexion suivante : quel paradoxe quand même, d’aimer la voile, et d’être si heureux de toucher terre parfois ! Il en va de même pour pleins de choses de la vie quotidienne : goûter intensément la joie d’une fête survoltée et dansante, tout en aspirant au calme et à la sérénité du lendemain matin ! Et concernant le voyage familial, c’est encore plus vrai : adorer la vie de famille, ses enfants, et lorsque vient l’heure du coucher, savourer le soulagement intense et quasiment jouissif de se retrouver au calme, sans cri et sans chamaillerie autours de soi !! Le bateau, et encore plus le voyage en bateau, font éprouver tout cela plus intensément encore ! cela tombe bien : nous sommes en plein dedans.

Au programme de ces prochains jours : découverte de Lisbonne, menus bricolages et préparation de la suite du voyage ! On vous racontera tout cela au prochain numéro.

Avant de conclure, merci à vous tous qui nous suivez, pour vos messages pleins d’amitié, de sympathie et de commentaires flatteurs. Vous faire vivre notre voyage est tout notre plaisir et vos messages, une vraie source d’encouragement !

15 réflexions sur “Toucher terre ou le bonheur du marin !

  1. CÉCILE QUENTEL

    Coucou les marins ! Toute l’école de keroman pense bien à vous en ces jours de rentrée ! Bravo 👏 aux enfants d’avoir déjà ouvert leurs cahiers ! Nous souhaitons vous envoyer des photos, des documents et plein d’autres choses… Pouvons nous communiquer directement via une adresse mail ? Avez vous Skype ? L’école va s’équiper de caméras pour l’occasion. Plein de bisous Lorientais ! Cécile

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      1. ANNE-SOPHIE

        Encore merci pour ce récit si bien écrit. On vit la traversée du brouillard avec vous, on dégobille avec Pierre-Louis et enfin, on arrive au port. Bon, nous c’est pour reprendre travail et train-train…. mais , au moins, on a eu cette fenêtre sur l’aventure !
        Gros baisers à partager et bonne rentrée à tous (puisque tout le monde est concerné) !

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      2. Laetitia

        Salut les copains, on vous suit avec une grande attention à chaque parution, avec beaucoup d’admiration aussi, on pense à vous.. on aimerait être une petite souris pour vivre un peu de votre histoire qui nous fait rêver!
        Grosses bises,
        Laëtitia

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    1. Bonjour Cécile, super, pour communiquer, le mieux c’est de nous envoyer un mail : caroline.olagne@gmail.com
      Sinon skype : kro405
      ou encore what’s app 0633885997
      Pour le moment nous sommes sur les réseaux européens et ça marche bien partout, j’ai de la 4G avec un bon forfait.
      Ensuite au Maroc et Sénégal il faudra faire confiance au WI FI local !
      A bientôt !
      Caroline

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  2. Annick Joncour

    bonjour Hervé, bonjour Caro ! je rentre de « vacances » et je viens de passer ce début de journée en votre compagnie (j’ai rattrapé les épisodes en retard à la suite) . Quels délices ! j’avoue que pour moi c’est une expérience inattendue que de suivre une aventure pareille.. grand merci pour cette générosité à nous faire partager ces instants en privilégiés. je vous souhaite le meilleur pour cette aventure. Bises !

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  3. Lydie

    Coucou les aventuriers!
    Je viens de terminer la lecture de ce récit que j’av Commencée ce matin !!
    Ouh là Ouh la la !!
    J’ai fini mon repas et me disait en vous lisant : au secours ! 😬😬😬
    L’avantage avec les enfants c’est qu’ils ont une faculté extraordinaire de récupération et de vous donner l’espoir ! Celui que l’adulte perd parfois et qu’ils vous redonnent dans des moments de doutes ! Soyez persuadés que vous leur offrez un trésor dans leur vie ! Bonne visite de Lisbonne !! Bisous

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  4. Bruno ANDRE BUREL

    Bonjour la petite famille de la mer
    C’est en faisant de l’Easy to Fly avec votre ami Vincent Barthaud et Armel Tripon la semaine dernière à la Trinité sur mer que nous avons fait le lien avec vous. Merci à Vincent et à Armel de m’avoir fait passer une journée très sympathique et passionnante
    Coté famille je connaissais un petit peu votre projet de départ et Jacques Dormeuil m’a fait suivre le lien vers votre blog.
    En fait pour plus de précision, je suis Bruno le mari de Véronique Burel (fille de Marc Burel et de Monique Gauchy)
    Bravo pour votre projet, vos enfants vous en serons toujours reconnaissants. Une belle vie consiste aussi vivre ses projets et à se fabriquer de beaux souvenirs.
    Bon vent
    Bruno André Burel

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  5. Stéphanie Jaulin

    Bonjour, bonjour!!!

    Les CP de Keroman passent un énorme bonjour à leur copine Juliette!!
    Je remercie Jean pour sa gentille carte postale.

    Nous avons commencé à suivre votre périple avec beaucoup d’enthousiasme.
    Au plaisir de vous lire prochainement.

    Stéphanie

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